Je suis heureuse d’avoir une présentation de mon travail dans le livre Woven Together publié chez Sandu / Gingko Press, disponible dans toutes les bonnes librairies à travers le monde !
J’y suis en très bonne compagnie, avec 19 autres créateurs qui placent la matière tissée au centre de leur travail, et qui excellent chacun dans leur domaine : Studio nom.,Tammy Kanat,台灣藺草學會,Aggeliki Dimitriadou,Hannah Waldron,Allyson Rousseau,Hermine Van Dijck,Morgan Hale,Julia Astreou,Sally Blake,Caroline Kaszak,Natalie Miller,Evee Erb,The Ninevites,Sarah Neubert,Tintsaba,Kate Park,二 回,María Hernández,Rina Matsumura,Rie Endo,Christina Christensen,Catriona Pollard.
Bonne lecture !
Voici l’interview pour préparer le livre (final draft in english here)
Tell us something about your artistic background. Why and how did you first start weaving?
J’ai toujours aimé le textile. Je suis allée en Inde il y a maintenant 20 ans, à l’occasion d’un repérage pour un documentaire sur la danse indienne. C’est là-bas que j’ai découvert le tissage, les tisserands et certaines techniques. En Inde, le tissage est partout. Je me suis dis qu’il y avait quelque chose à faire ; revenir avec un projet. Nous avons planifié un nouveau voyage (mon mari et moi). Je suis donc retournée en Inde avec un projet de tissage. J’avais préparé au préalable une collection de pièces à tisser avec des motifs, et des palettes de couleurs. On a rencontré une famille de tisserands à Madras, et on s’est installé chez eux pendant plusieurs semaines. Pour mener à bien le projet, on a acheté un métier à tisser la soie. On a choisi les fils de couleur, et la teinture. C’étaient des pièces très grandes (2m50 x 1m50) avec un travail spécifique sur la couleur et la matière, et la redécouverte de techniques anciennes. Une période de recherche intense et passionnante !
J’ai ramené 20 pièces en France que nous avons présenté à différentes personnes, qui nous ont orientés sur Londres. Là bas, le travail a rencontré une belle reconnaissance, et j’y ai vendu mes pièces (à Armani Home entre autres), et pris des commandes pour les collections suivantes . Au fur et à mesure, le projet s’est amplifié, et j’ai mis en place avec mon tisserand un système pour pouvoir lui commander une vingtaine de pièces par mois, à l’aide de plans avec des références couleurs/dimensions/fils que je lui envoyais (par fax à l’époque !) et dans un anglais inventé spécialement pour l’occasion.
Le projet a du s’interrompre à la naissance de ma première fille, quand j’ai eu moins de possibilité de me déplacer en Inde. Être loin de la production n’avait plus de sens.
You have design textiles for fashion brands like Chanel and Dior. What’s the most memorable creation you have ever made?
Avec ce travail pour la haute couture, j’étais dans la fabrication de matière et la conception de motifs, et pas associée au travail d’assemblage et de finition des collections. En tant que « petite main », je ne peux pas dire qu’il y ait une pièce que je considère comme mémorable à proprement parler. Ce que je retiens de cette expérience, encore plus que le travail de style réalisé en studio à Paris sur les ordinateurs, c’est tout le travail de prototypage qui était effectué dans les monts du Forez dans la Loire, loin de Paris. Toute l’équipe (graphiste, tisserande, stagiaire haute couture) s’installait dans un atelier de tissage Jacquard et j’étais alors associée à tout le processus de création sur le métier à tisser. Un choix de fils incroyable, des couleurs à l’infini, et la possibilité d’expérimenter sans aucune restriction. C’est vraiment cette plongée dans la matière, avec beaucoup de moyens à disposition qui représente la plus belle part de cette expérience. L’objectif était notamment de travailler sur les tailleurs Chanel. Et maintenant quand je croise une femme qui en porte un, je me dis que c’est peut-être un tissu que j’ai contribué à tisser. Ça me rend heureuse et fière !
Could you please share with us the story of your loom bracelets? What or who inspires you to create them?
Pour le tissage je m’inspire de tout ! La nature est importante pour moi, et cela complète tout mon travail de photographe que je développe en parallèle depuis mes années d’étudiante aux Beaux Arts. La nature est un recueil infini de couleurs, de formes, de matières. Quand je dis Nature, c’est au sens large, cela peut aussi être un détail dans un paysage urbain, ou une fleur posée sur la table d’un café. Ou un paysage qui défile lors d’un voyage en train. Une rêverie ou bien un moment de concentration sur un détail. Les fleurs sont un sujet de prédilection. J’ai la chance de pouvoir collaborer depuis quelques années avec une très belle revue hollandaise qui m’amène à travers des commandes de reportage à encore mieux préciser et exprimer mon rapport à la nature et aux fleurs ; et donc, à la couleur.
Une autre grande source d’inspiration, notamment pour la technique et les savoir-faire, est liée à mon expérience indienne, avec les grandes pièces tissées abstraites et leur matière. En Inde j’ai appris que tout est possible. C’est un peu l’esprit qui a prévalu lorsque j’ai lancé les LOOMs. L’idée était de reprendre sous forme de miniature le travail sur les grandes pièces indiennes. Les LOOMs dans le développement de mon travail depuis plus de 20 ans sont comme un lien dans le temps et dans l’espace. La fonction « Bracelet » tient plus du hasard. Je n’ai pas voulu précisément faire un bracelet. Cette fonction d’accessoire de mode s’est imposée d’elle même, même si j’avais bien à l’esprit qu’il fallait que ce travail de miniaturisation ait une fonction et puisse rencontrer les futurs clients : je ne suis pas une pure rêveuse … comme tous les créateurs, j’ai besoin que mon travail me procure de quoi vivre !
Le motif de la croix récurrent dans les LOOMs fait référence à la première pièce que j’ai tissée en Inde. C’était une croix, mon pooja à moi. La première fois qu’on a installé un métier à tisser en Inde, juste avant de le faire fonctionner, le tisserand a fait une prière, des offrandes (« pooja »). Dans le même esprit, j’ai fait une croix, que l’on retrouve sur mes LOOMs.
Le nom de mes bracelets provient simplement de la traduction anglaise de «métier à tisser» « handloom ».
You have stayed in India for some years. What’s your most interesting experience in India? How has your India experience influenced your works?
Mon expérience indienne la plus enrichissante fut ma rencontre avec les tisserands et aussi le magnifique objet qu’est un métier à tisser. Avec ce dernier, j’ai le sentiment que tout est possible ; c’est la magie du travail manuel. Souvent, les gens perçoivent de l’ennui et de la répétition dans le travail manuel, moi j’y vois avant tout les possibilités de création qui s’offrent à nous. Et également le choix d’un rythme et de conditions de travail (qui occupe quand même l’essentiel de ma journée) qui est l’expression d’une volonté : la lenteur contre la vitesse, l’authenticité contre le factice, l’imperfection contre le lisse, la simplicité contre le tape à l’œil, et enfin la légèreté contre la pesanteur ! Ceci est un peu ma profession de foi. L’artisanat selon moi est l’une des façons nous guider pour un monde voulu plus humain et précieux, à la fois pour celui qui fait et celui qui reçoit et utilise l’objet. C’est un travail très engageant, surtout à l’heure actuelle, avec toutes les crises que nous vivons.
Please share with us your weaving process from conception to creation.
Dans mon processus de création, il m’arrive de partir d’un paysage, d’une couleur, d’un rythme. Je peux aussi décider d’utiliser tels fils chinés la veille ou présents dans mon stock depuis des années, en les associant par couleurs et par matières. J’aime par exemple en ce moment jouer entre le mat et le brillant, les matières naturelles et les fibres plus sophistiquées et éventuellement synthétiques. Ensuite je monte ma chaîne de bracelet sur mon métier en tisser. Je tisse toujours un bracelet à la fois, même si j’ai plusieurs métiers à tisser. Je ne commence pas une pièce sans avoir terminé la précédente. Le tissage consiste pour moi à créer des rythmes de couleur. La forme et le motif sont plus présents comme supports de la couleur, je les travaille rarement en tant que tels. Finalement, le tissage, c’est un peu comme une composition musicale, avec une belle place laissée à l’improvisation ! Je compose au fur et à mesure, en prenant des notes précises de tout ce que je fais. J’ai mon propre système de notation. Si le travail en cours sur une pièce ne me plaît pas, je commence une autre pièce, jusqu’à trouver le bon équilibre, la justesse par rapport à ce que je voulais exprimer. La recherche est celle d’une harmonie, mais qui inclurait les fausses routes, les reprises, les accidents. La vie quoi !
The loom bracelets you made are very exquisite. What’s the most difficult part of the weaving process?
Pour moi, il n’y a rien de difficile techniquement. Le plus compliqué c’est de trouver les fils. Et également de faire face à la demande. Je ne suis jamais heureuse quand je dois refuser de travailler avec une boutique qui me plaît, faute de temps. Cela rejoint la limite de tout travail artisanal, le temps nous est compté, et c’est même la denrée la plus précieuse. J’aimerai que mes journées fassent 48h pour faire tout ce que j’ai à faire et pouvoir répondre à toutes les demandes et faire plaisir à tout le monde !
You also dye fabric yourself. Why do you choose to dye the fabric yourself? Could you please share with us some dyeing skill?
Le travail sur la teinture intervient quand je n’ai pas la couleur exacte. C’est très basique. Je fais alors tous les essais nécessaires sur mes bandes de tissu blanc pour obtenir la bonne couleur. Je n’ai pas vraiment de technique de teinture spécifique. J’ai mes marques habituelles que je connais bien. Et j’utilise aussi toutes sortes de produit naturels, comme le thé, qu’avec les années j’arrive à maitriser à peu près même s’il y entre encore beaucoup de hasard.
The retro-styled color of your bracelets is very special. Do you have a method for choosing color palettes?
Pour composer mes palettes de couleur, je pioche beaucoup dans ma collection de fils anciens, dénichés dans les brocantes de France et d’Europe. Je passe énormément de temps à chercher des fils qui correspondent à mon travail et à mes envies. Je marche au coup de cœur. J’allie facilement des fils plus anciens à de nouveaux fils. J’associe aussi des matières précieuses à des matières plus brutes, du jean avec des fils dorés par exemple. On peut dire que les LOOMs indigo associés au doré sont un de mes classiques.
We noticed that you have changed the weaving tool into a miniaturized one by creating your loom. That’s very extraordinary. Why do you think out of improving the weaving tool?
En créant la miniature d’un vrai métier à tisser, je me facilite la tâche et j’adapte l’outil à ma main et à mon geste. Je peux ainsi l’emporter en voyage, travailler partout et plus rapidement. Et c’est bien plus adapté à la taille d’un bijou.
Je pense que tous les artisans adaptent leur outil. Ce n’est jamais la technique qui impose ses coordonnées, la technique doit se plier à la création. Contrairement à l’industrie, qui du fait de la rigidité des process, impose des contraintes très fortes sur la création.
What types of textiles you often use for weaving the bracelets? Why do you choose it (them)?
J’aime bien les fibres naturelles : soie, lin, coton, chanvre … Je les mélange avec des fibres synthétiques comme le lurex, la viscose … Cela permet de travailler les effets de matière, par exemple le brillant et le mat. Je fais très attention à la qualité des fils que je choisis. J’en ramène de chacun de mes voyages. Certains de mes fils sont récupérés sur des pièces de textile que je détisse. Ainsi tous mes fils indigo proviennent de toiles de jean que je détisse : cela me prend un temps fou, mais correspond bien à mon souhait de valoriser les matières considérées comme pauvres ou inemployables. C’est le principe même du upcycling, que je pratique depuis bien longtemps.
Besides loom bracelets, you also evolve in different fields of art like making paper lamps. What’s the common part between paper art and fiber art?
Le papier et le tissu sont faits à base de coton. Je n’utilise que du papier fait à partir de fibre de coton pour mes lampes. Je peux très bien utiliser du papier pour mes tissages. Ce sont des matériaux qui sont très proches. Finalement j’utilise tout le temps du tissu. C’est un matériau que j’apprécie particulièrement car tout est possible avec du tissu. J’aime sa souplesse, sa légèreté. C’est un matériau que j’associe volontiers à quelque chose d’aérien et de lumineux ; d’où les lampes.
What has been your greatest challenge to date? How did you conquer it?
Faire comprendre à mes clients qu’il faut du temps pour tisser mes bracelets est un de mes plus gros défis. J’ai des délais de fabrication assez longs car je fais tout moi-même et je suis seule. Et je ne suis pas une machine !
La dimension artisanale est parfois mal comprise, même si elle est toujours appréciée.
Il faut comprendre que pour un artisan, il n’y a pas de différence entre la vie et son travail.
C’est une vie de travail choisie et pleine de création, heureuse.
“Traditional craft is sometimes misunderstood, although it’s still appreciated by many. People must understand that for an artisan, there is no difference between life and work.”